A Nassogne
sous-titré Presque un mois chez Gougoui Kangni
roman,
2005-2006
Extraits
-----------------------------------------------------------------------------------------------------
Le dix-neuvième jour
Cinq heures trente, je me lève.
Je rencontre Fo Bomboma qui sort de sa chambre, en short, avec sa lampe torche.
Une nuit très tourmentée. Mais j’en suis finalement venu à bout. Je me suis réveillé à vingt-trois heures, minuit, une heure. Je n’allumais pas (ce qui m’aurait obligé à me lever et à enlever mon masque respiratoire) mais je m’asseyais au bord du lit et j’essayais de lire l’heure sur mon réveil Jupiler (publicité non payée !) (d’ailleurs, quand on boit, on ne regarde pas sa montre, eh !) en allumant mon briquet. Je me suis réveillé ainsi presque toutes les heures jusqu’au matin. Je croyais toujours qu’on toquait à la porte de la chambre et je regardais au fond de la pièce, du côté gauche, vers la porte (mais il n’y avait pas de porte de ce côté !), comme si j’étais à Ixelles-Matonge (mais j’étais à Nassogne !). Et j’essayais de me mettre du côté droit du lit et je me battais conte le tuyau de mon masque qui s’efforçait de me retenir…
- Et tes bloms, douchka ?
- Parfait. Presque guéri. Bientôt je pourrai remettre mes slips (et les laver moi-même tous les matins ou les donner à laver à Mawussi ?).
Sans doute m’as-tu trop parlé de la maison hier soir... Et trop dit que tu t’y plaisais… Et trop dit aussi que tu en profitais… Et que tu n’avais même plus envie de sortir…Et que tu étais très heureuse comme ça…
- Sans moi (salope !)…
Et ai-je poussé (Anaaa !) une crise de jalousie ?
- Où tu me situes, là-dedans, petite chérie ?
Mais oui, bien sûr que suis un garçon bien sage… Mais oui que, maintenant je n’oublie plus de prendre mes médicaments… Oui, môman… Comme un grand…
- Je ne suis pas ta mère, bandecon !
Yao est dans sa cuisine. Il ouvre une boîte de corned-beef
- De l’Exeter ? C’est le meilleur. On trouve ça à Kinshasa aussi ! Et à Ixelles-Matonge aussi ! Ana, Djuna et Lianja adorent !
Je demande à Yao ce qu’il prépare avec de l’Exeter.
- De la sauce bolognaise. Trouver de la viande hachée fraîche, aux environs de Nassogne, c’est pratiquement impossible. Alors, j’utilise le corned-beef. Je rajoute des oignons, de l’ail, du thym, de la tomate…
- Pour le repas de midi ?
- Non, c’est pour le Quilombo. Ils ont téléphoné, ils sont à court de sauce bolognaise.
Kafui me pique mon cendrier. Pour le vider (déjà ?).
- C’est une maniaque ? Comme Rachou ?
Mais ce serait plus gentil encore si elle me le ramenait. Et elle me le ramène évidemment… Ce n’est pas ma petite chérie qui ferait ça ?
Une chèvre vadrouille. En liberté (ou a-t-elle réussi à s’échapper ?). Les rosiers de Gougoui vont-ils se faire « petit-déjeuner » par une herbivore ? Les chèvres aiment-elles les roses du matin, encore humides ? Ou préfèrent-elles grignoter les croupions des poules du vieux d’à côté ? Quoi faire ? Qui dois-je appeler au secours ?
- Kafui, il y a une chèvre qui se promène toute seule dans le parc, c’est normal ?
- C’est notre chèvre.
- Et elle peut se promener, comme ça, toute seule ?
- C’est celle qui a mis au monde. Elle est restée dans l’enclos depuis la naissance de son petit. Il faut bien qu’elle broute un peu. De l’herbe fraîche.
Mais la chèvre ne s’éloigne vraiment pas de l’enclos parce que le petit est resté enfermé à l’intérieur.
- Heureusement sinon elle irait manger le manioc séché chez le vieux d’à côté…
Gougoui confirme.
- Les chèvres adorent ! Mais quand ça arrive, le vieux débarque et c’est toute une histoire ! Alors que ses poules viennent picorer notre herbe tous les jours ! Et qu’elles se permettent même de déterrer les graines qu’on vient de planter ! Et quand on les enterre plus profondément, les graines, c’est bien connu, ne poussent pas bien !
Gougoui va voir le menuisier, ce qu’il fait, où il en est. Puis il part à Lomé où il a rendez-vous au Port autonome, à neuf heures précises.
- J’espère qu’ils vont pouvoir sortir le moteur aujourd’hui (et le moteur seulement !). Sinon, j’aurai gaspillé de l’essence pour rien.
Il en profitera pour réapprovisionner le Quilombo en sauce bolognaise.
Je m’assieds sur la terrasse, je bois du café et… je pète.
- Après tout, ce n’est jamais que la deuxième fois que je pète dans ce roman, petite chérie. Ce n’est pas exagéré ! Tu m’aimes ?
- Non, c’est la troisième, bandecon !
Je pète comme un zémidjan (avec un z minuscule, ça désigne la machine ou le « moyen de transport », avec un Z majuscule, c’est le chauffeur, le « Zem », non ?). A l’aise ! Et, subitement, je me rends compte de mon imprudence, je me lève et je jette rapidement un coup d’oeil à l’intérieur.
- Ouf, personne n’est couché sur un banc ou assis dans un fauteuil ! Personne ne m’a entendu et personne ne m’a senti, ouf !
Ni Yao-le-cusinier, ni Mawussi, ni Kafui, ni Fo Bomboma. Ni un « hôte ». Ni même un « usager », attendant qu’on lui remette la clef d’un bungalow.
J’entends un bruit sourd. Le bruit d’un fusil de type « pou-pou »
- Boum boum !
Un règlement de comptes savamment programmé ou une simple vengeance sordide ? Un hold-up sanglant ? Un conflit entre voisins pour une histoire de parking ? Un crime crapuleux ? Un assassinat politique ? L’acte désespéré d’un amoureux éconduit (qui abat son beau-père et se tire ensuite une balle dans la tête) ?
Yao-le-cuisinier me dit que ce sont des chasseurs. Les faits divers d’Ixelles-Matonge ne fonctionnent pas au château de Nassogne.
- Et on chasse aussi pendant la journée ?
- Oui, oui. Mais pas ici… On chasse dans les champs, aux environs.
Yao-le-cuisinier me demande des nouvelles de Sukina (que puis-je lui répondre ?) (personne ne m’en parle et j’ai oublié de poser la question à Ana).
- Et Daniel, comment va-t-il ?
- Il habite Saint-Malo. Ce n’est pas tout près. C’est comme s’il habitait Dapaong. On ne se voit pas tous les jours.
et me prépare une de ces « exquises » que tu m’interdirais sûrement si j’étais encore sur terre (mais n’est-ce pas au Paradis que l’on peut enfin commettre tous les péchés qu’on s’interdisait avant… afin de pouvoir y entrer ?) : une « sauce arachide » (avec du mouton, de la pâte d’arachides, des tomates fraîches et beaucoup de petites aubergines, vertes et jaunes) (celles qu’on met dans le pondu au Congo).
- Et de l’huile rouge ?
- Pas d’huile rouge, petite chérie…
Tu te demandes si je ne t’ai pas déjà servi cette sauce-là avant. Je ne sais plus. Il faudra que je relise mes notes.
Et bien que, depuis quelques jours (surtout depuis le jour de la pizza), j’aie pris l’habitude de moins manger au déjeuner
- Pas pour maigrir, petite chérie. Mais pour être en mesure de travailler encore un peu l’après-midi.
aujourd’hui, je décide
- Mobudiééé !
de me laisser complètement aller. Et je te fais des taches sur la nappe. Slurp. Et je te fais des taches sur le T-shirt. Slurp. Et je te fais des taches sur le pantalon. Slurp. Et je ne te fais pas de taches sur le slip puisque je n’en porte pas. Flop.
- Et personne ne t’a demandé des nouvelles de Difan, douchka ?
- Non, toujours pas, petite chérie. Ça viendra en son temps. Peut-être plus tard.
Une petite sieste, enfin, petite chérie ! Je l’ai bien méritée, non ?
- Bouffe, dormir !
Je vais pouvoir faire une bonne sieste avec le ventre bien plein.
- Et la conscience tranquille ?
Ana essaie de me culpabiliser. Mais elle commence à désespérer. Elle est fatiguée
- Santa Ana !
de devoir répéter toujours la même chose. Elle fait quand même un effort.
- Et ton régime, douchka ?
- « Laissez tomber, laissez tomber… » C’est Frank Lassan, petite chérie, qui chantait ça dans les années combien encore ? Tu étais déjà née ?
- Azui !
J’ai un problème avec mon lecteur de disquettes ? Quand je veux faire une copie de mon texte, la machine me fait savoir que « la disquette de destination est pleine ». Et quand je regarde les « propriétés » de ma disquette, le camembert m’indique que l’espace utilisé est à peine plus grand que l’espace disponible. Et pourquoi alors me refuse-t-on une copie ? Qui pourra m’expliquer ça ? Mon texte est-il devenu trop important et devrais-je le fragmenter ?
Je demanderai à Khalid, à mon retour sur terre.
Gougoui est revenu très tôt de Lomé aujourd’hui. Est-ce bon signe ? Je ne l’ai pas encore vu. Sans doute se repose-t-il. Mawussi et Kafui sont dans la cusine. Elles trient des arachides pour Ana.
- On peut goûter ?
Yaovi ratisse, retourne et aère délicatement l’herbe qu’il a coupée hier et qu’il a mise à sécher au soleil.
- Pour faire des matelas. C’est plus doux et plus confortable que la paille.
Kossi et Kudjo, je les ai à peine entrevus. Ils sont occupés à refaire la route, devant l’entrée de la propriété. Une partie de la route abîmée par les érosions de la saison des pluies. Depuis le matin. En plein soleil
Me prendrai-je pour Chirac, Mobutu ou Albert II, saluerai-je les costauds et oserai-je les encourager ?
- Bravos, les gars ! C’est un boulot fatiguant, n’est-ce pas ? Je ne pourrais plus faire ça, moi ! Ce n’est plus vraiment de mon âge !
Eh oui, à mon âge, je peux enfin dire que je suis vieux et fatigué. Avant j’étais jeune et fainéant et je n’osais pas le dire.
- Escroc ! Azui ! Bandecon !
Je rencontre Gougoui dans le couloir... Un peu las… Ce n’est pas bon signe... Il attend un coup de fil… Qu’on lui dise si ça a marché… Qu’on lui transmette une proposition raisonnable…
Des abeilles (ou des bestioles apparentées) sont en train de construire un nid. Sous le toit de la grande paillote. Il faudra que je signale ça à Gougoui .
Le deha, c’est mon vin de messe, à moi. Et je me dis la messe tous les soirs.
Aujourd’hui ce sera encore avec du zoè (acheté devant le Quilombo). Et aussi des arachides caramélisées (préparées par Kafui)
Aujourd’hui, le château de Nassogne est devenu une abbaye du Moyen Age et accueille une visiteuse qui sort de l’ordinaire. Elle est venue demander l’asile, dans le courant de l’après-midi, en voiture (une grosse bagnole de bourge, blanche). Toute seule. Apparemment sans bagages mais avec un sac à main et une bible (et, apparemment, des vêtements de rechange parce qu’elle est arrivée en pagne et que, plus tard dans la soirée, elle se retrouvera en jeans). Elle a demandé à prendre une chambre dans laquelle elle est restée enfermée jusqu’au soir. Elle paraît avoir quelques soucis...
- Comment peut-on avoir une aussi belle voiture et être tellement malheureuse ?
Elle ne souhaite, apparemment, parler à personne. Elle ne veut même pas manger. Au début de la soirée, elle s’est, un moment, installée sur la terrasse. Et, lorsque je me suis levé pour la saluer, et elle a détourné la tête et ne m’a même pas répondu. Puis elle s’est réfugiée dans le salon, à l’intérieur. Puis elle est retournée dans sa chambre.
- Mais la petite dame n’est pas allée se coucher toute seule, petite chérie ! Malgré sa détresse infinie, elle n’a pas oublié d’embarquer le numéro d’Elle (celui du soixantième anniversaire) (celui que j’avais feuilleté dans l’avion tandis qu’un capucin détournait les yeux et se réfugiait dans le lecture d’un ouvrage sur la vie monacale en Afrique) qui traînait encore au salon, eh ! Elle n’est pas si innocente et si désespérée que ça, la bêcheuse ! Tu m’aimes ?
Une femme qui s’amène avec des problèmes ou qui vient en chercher ? Une femme trompée, une femme jalouse, une femme battue ? Ou une chrétienne fervente qui s’est simplement déplacée jusqu’ici, comme on se retire dans un monastère, pour jeûner et prier le Seigneur ? En silence. Ça sort de l’ordinaire, non ? Donc, selon mes conventions passées avec moi-même, je puis en parler, non ? Voilà, c’est fait.
Gougoui se fait biper (benga ngai !) sur son portable. Ce sont les garagistes de Lomé. Et Gougoui , tout de suite, les rappelle. Les nouvelles sont plutôt bonnes. Ils ont réussi à sortir du Port le moteur dont Gougoui a absolument besoin pour remettre en état de marche sa deuxième voiture.