lundi 26 avril 2010

A Nassogne - Le dix-septième jour

Didier de Lannoy
A Nassogne
sous-titré Presque un mois chez Gougoui Kangni
roman,
avec des personnages réels, se passant en un lieu précis, à une époque déterminée
2005-2006
Extraits

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Le dix-septième jour


Cinq heures vingt, je me lève. Six heures moins dix, je commence à t’écrire (je devine à peine les lettres sur le clavier)

- Et mes journaux, douchka ? Tu m’avais promis !

- Plus tard, plus tard, petite chérie. Je suis trop pris ! Avec tous ces coups de fil que j’ai reçus hier soir …D’ailleurs, aujourd’hui, ce matin, j’ai trop d’infos à gérer, je sortirai à peine de ma chambre …

- Ça, je vais croire peut-être !

- Quoi ça ?

- Que tu vas rester dans ta chambre et ne pas aller aux nouvelles. Tu me prends pour qui, bandecon ? Tu crois que je ne te connais pas ?

J’examine de près mon instrument de musique (vérifier s’il s’agit d’un saxophone ou d’un accordéon). J’ai des rougeurs, effectivement, mais d’un seul côté seulement. Du côté gauche.

- Il ne doit même pas s’agir de mycoses, petite chérie. C’est une simple irritation.

- Due à un slip mal lavé ou mal rincé, j’imagine.

- Oui ?

- Oui !

Et si je me remettais de la mousse à raser sur les bloms ? Et si je ne portais plus de slip sous mon pantalon wax ?

Mais si, en plein soleil, les pantalons wax laissaient entrevoir mes affaires extérieures ?...

Bloms à l’air, donc. Sauf la nuit (pour que le serpent d’Anselme ou d’Antoinette ne vienne plus me lécher, lécher, lécher, lécher, lécher le rat) (avant de l’avaler tout cru !). Et si elles pendouillaient de façon tout à fait ridicule et se mettaient à ballotter comme le balancier de la vieille horloge de Nassogne (Belgique) qu’Ana a offerte à Malou. Après tout, le slip, c’est notre soutien-gorge, à nous les hommes. Peut-être devrais-je cesser de laver mes slips moi-même. Mais je ne me vois pas les remettre à Kafui, à Mawussi ou à Chérita. On conserve ses odeurs pour soi, non ? On ne les donne pas à partager. On protège son intimité et, partant, l’odorat des autres.

- Chaque fermier doit garder son jus chez lui ! disait-on à Nassogne (Belgique) en parlant des fermiers malpropres qui laissaient leur fosse à purin déborder et déverser leur trop-plein de « sauce » dans les rigoles (ou ce qui en tenait lieu) de la Grand-Rue ou de la rue de Coumont.

Le slip (celui que j’ai mis sécher hier matin) est sec. Et le gant de toilette (d’avant-hier matin) aussi. Enfin, pour être exact, je devrais dire du gant de toilette qu’il est « presque sec ». Il n’est plus réellement mouillé mais il est encore légèrement humide ! Et il ne sent pas trop bon...

Eric, le gars responsable et le fils taquin, m’a demandé, il y a quelques jours ce que je foutais à Nassogne.

- Pourquoi quittes-tu Ixelles (où tu ne bougeais pas et ne foutais rien) (sauf aller avec Ana dans les bistrots de Matonge) pour venir à Nassogne (où tu ne bouges toujours pas et ne fous toujours rien) (et ne fais même pas un tour dans les bistrots de Lomé) ? Tant qu’à faire, s’il s’agissait de ne pas bouger, tu aurais pu rester dans ta chambre au 21 de la rue Maes et continuer de lire ton journal et de regarder les infos à la télévision ?

Aujourd’hui, je pourrais presque lui répondre.

Je lui avais dit qu’ici, ce n’était pas la même chose, qu’il y avait une autre respiration, que l’air et les bruits étaient différents. Ce n’est pas inexact mais cette réponse réclame d’être un peu « allongée », non ?

J’ajouterai donc aujourd’hui ceci.

Que je suis à Nassogne, fils, pour y boire du deha tous les soirs (au lieu de boire de la Jupiler). Et pour y discuter (ou me taire) longuement avec Gougoui et l’entendre raconter les histoires du gîte. Et pour penser à Ana, à mes petits, à nos amis. Mesurer combien ils me manquent. Et, bien sûr, fils, ils me manquent. Je le savais avant même de partir, qu’ils allaient me manquer. Mais quand on a tout son monde autour de soi, on est quelquefois négligent, on faiblit, on faillit, il arrive qu’on se dérobe…

De plus, Nassogne est tout un village. Il y a plein de gens, qui vont et qui viennent. Il y a des hommes et il y a des femmes (des châtelains, des manants, des « picoleurs », des « affamés », des « hôtes » et des « usagers », un CB, des menuisiers, des maçons, un tailleur, un imprimeur) (et des mécaniciens de groupes électrogènes qui, dit-on, se sont annoncés pour aujourd’hui) qui y vivent ou y passent. Et la vie de chacune de ces personnes est un roman. Il leur arrive tous les jours quelque chose, même si ce sont de petites choses, aux gens d’ici.

Quand on me téléphone

- Et Sukina, ma petite (ma grande !) qu’est-ce qu’elle devient ? Pourquoi personne ne m’en parle jamais?

- Elle se débrouille très bien toute seule et il n’y a rien à en dire !

d’Ixelles-Matonge et que je demande ce qui se passe, on me répond toujours que tout va bien. On n’a jamais d’histoires à me raconter et ça me déprime. Mais peut-être me cache-t-on plein de trucs et dit-on ça pour me rassurer. Peut-être que les bus et les hôpitaux sont en grève (pourquoi pas ?) et que les kokos ont été renvoyés de l’école et que beaucoup de nos amis sont tombés malades (et n’en ont plus que pour quelques jours) et que la voiture de Lianja est en panne ou a été gravement accidentée et que Djuna s’est à nouveau déplacé l’épaule et qu’Ana (Anaaa !) a perdu la vue et que Soumaya est enceinte… Encore heureux que le micro-ondes de Marychelo ait cramé et que Moura se soit fait choper par les flics, sinon je finirais par croire qu’on s’emmerde grave à Mpoto.

De plus, fils, à Nassogne, on se lève plus tôt. Vers cinq heures trente ou six heures du matin. Et ça me donne plus de temps pour écrire. Depuis quinze ou seize jours que je suis ici, j’écris toujours avec le même plaisir qu’au premier jour. Sans contrainte. Avec facilité. Je n’ai plus mes dictionnaires (sauf le dictionnaire des synonymes qu’Henri Jouant et mes collègues de la Régie des Bâtiments m’ont, entre autres cadeaux d’adieu, offert lors de ma mise au placard) (et que je ne pouvais pas oublier de mettre dans ma valise noire) (outil de travail incontournable pour les gars de mon genre qui ne maîtrisent pas parfaitement la langue dont ils sont bien obligés de se servir pour écrire !) (parce qu’ils n’en connaissent aucune autre, eh !) (pas même le néerlandais, le lingala et l’espagnol ?) (pas même !) mais je ne manque jamais d’idées…

Et, pour te décrire ma façon de vivre à Nassogne, rappelle-toi la façon dont Sauter-Sauter (c’est ainsi que Djuna Djanana l’avait baptisé lorsqu’on l’avait amené à un concert de Langa-Langa Stars, au Vévé Center, et qu’il s’est mis à danser en sautillant, comme un Américain blanc), un journaliste allemand

- Qui c’est qui vous l’avait envoyé, celui-là ?

- Je ne sais plus, fils, mais ce n’était pas vraiment un cadeau.

a découvert Kinshasa, les quinze premiers jours de son séjour. Il s’asseyait sur notre terrasse, buvait sa bière et discutait avec nos amis et tous nos visiteurs (même les agents de la zone et les vendeuses de bananes). Et il prenait des notes. Toute la journée. Pendant quinze jours. Sans jamais traverser la rue ni même sortir de notre parcelle. A l’époque, je n’en revenais pas (et je ne peux pas dire que j’approuvais !) mais j’étais quand même intéressé par la méthode.

Et puis, à Nassogne, fils, il n’y a pas que des hommes.

D’autres espèces vivantes sont aussi admises au château. Il y a aussi les tourterelles et les chauves-souris. Les canards et les pintades. Les fourmis et les termites. Les chiens et les chèvres. Et, bien sûr, les lapins (Azui !) qu’on peut surprendre, tôt le matin, sur la pelouse (on en retrouve les crottes dans l’herbe !), surtout vers le haut du parc, près de la maisonnette de Yaovi (si Pit, Bull et Dog ne leur font pas la chasse)…. Et les écureuils qu’on peut, avec un peu de chance, voir courir et sauter, de la rotonde à l’enclos (si Pit, Bull et Dog, etc.)… Le pique-bœuf qui a perdu son bœuf et les moustiques qui ont peur de rentrer à l’intérieur de la maison (et de s’y faire « bomber » !). Les mantes religieuses et les libellules (qui, parfois, se posent sur les murs ocres comme si elles cherchaient à se faire épingler par un entomologiste) (mais peut-être prennent-elles simplement le soleil, comme Ana ?) (et leurs ailes sont-elles des panneaux solaires et rechargent-elles leurs batteries ?). Les crapauds et les grillons. Les escargots de terre…

Et les serpents aussi, fils ! Le serpent qui bouffe les poussins (celui-là, je ne l’ai pas encore vu cette année) et celui qui sort de son champs pour obscurcir tout le ciel. Les serpents qui rôdent autour des ananas lorsqu’ils sont mûrs et

- Les ananas mûrs attirent les serpents, surtout les vipères.

le serpent dont on n’a pas utilisé la peau pour fabriquer les chaussures d’Ana. Et même le serpent du Bandundu qui, quelquefois, remonte à la surface et s’invite au château.

Et toutes sortes d’espèces végétales ont aussi droit à l’existence : des oreilles d’éléphant, des becs de perroquet, des griffes de fée (dont Roger Atkpati connaît tous les secrets… et les noms latins !), des veuves pleureuses, des rosiers, des cactus, des bougainvilliers (qui prospèrent, particulièrement, sur l’ancienne cacaterie du vieux d’à côté)…

Et des acacias, des flamboyants, des ilang-ilangs (l’arbre qui embaume, surtout le soir, comme les demoiselles non-accompagnées du night-club Aquarius) (l’arbre ndumba !) (celui que les « Go » rappeuses préfèrent), des cocotiers et des palmiers (les palmiers ont des piquants, les cocotiers pas), des eucalyptus, des tecks (contrairement aux baobabs, les tecks et les eucalyptus aiment bien la vie en société), un iroko…

Et des bananiers, des avocatiers, des citronniers, des orangers, des mandariniers, des goyaviers, des pamplemoussiers, des cacaoyers, des nérés (qu’est-ce que c’est que ces trucs-là ?), des arbres à karité (mais je ne sais pas comment ça s’appelle) et un autre arbre, à l’entrée, près de la loge-paillote du vieux Kluvi, qui produit des fruits noirs (et dont j’ignore aussi le nom).

Un véritable Jardin des Plantes, fils ! Et c’est Gougoui et Nicole qui ont tout planté. Et ici tout pousse vite. Ce n’est pas comme à Nassogne (Belgique) où ma grand-mère (ton arrière

- La baronne ? Celle que tu aimais bien et qui s’appelait Mamy ?

- Comme Mamie Marguerite, la maman de Nicole, Comme « La Mami » de Valencia, la mère d’Antonio…Beaucoup de grand-mères s’appellent Mamy ou Mamie ou Mami…

grand-mère) plantait encore des arbres, à soixante-dix ans passés, mais en se demandant quand même si ses arrière-petits-enfants allaient jamais les voir atteindre un âge adulte.

Et des termitières maternelles et voluptueuses et des sentiers qui se promènent en serpentant (mais qui savent toujours où ils vont).

Et même les journaux de Lomé (quand Gougoui m’en achète près du Quilombo et les ramène au château) et les coups de téléphone de Paris-Pantin et d’Ixelles-Matonge (et de Lomé aussi !).

- Et ton journal télévisé ?

- Le journal télévisé, on ne peut le voir que dans la chambre de Gougoui et je n’ai pas envie de passer mon temps à regarder la téloche… sinon, à part Ana, mes petits et nos amis, quel attrait trouverai-je encore à Ixelles-Matonge, à mon retour sur terre ?

Et puis, Nassogne, ce n’est pas une chambre mansardée tout en haut d’une maison, c’est tout un village, je te disais.

Et c’est aussi l’eau qui sort de la nappe phréatique, potable et délicieuse.

Et c’est évidemment la bouffe ! Les « ordinaires » et, surtout, les « spéciales » et les « exquises ».

Mais, fils, il ne faut pas trop parler de ça à Ana. Elle m’avait dit, avant de partir, qu’elle espérait

- Avec la chaleur qu’il fait là-bas, ça ne devrait pas être trop difficile, douchka !

que j’allais revenir de Nassogne avec dix kilos en moins…

Quelques feuilles s’agitent. Au bout d’une branche d’arbre. Comme s’il s’agissait des ailes d’un oisillon. Qui s’entraîne, s’entraîne, s’entraîne avant de s’envoler… Ou de se casser la gueule sur le sol. Quelque chose les démange (les feuilles ?) ou quelqu’un les bouffe (les oisillons ?) ? Trop fainéant, je ne me dérange même pas, je ne bouge même pas, je ne vais même pas voir. Je philosophe.

Yaovi coupe le paspalum devant la terrasse. En se déhanchant parfois sur une musique qu’il a dans la tête. Pas besoin de MP 3. Mais qu’est devenue l’ancienne tondeuse à gazon qui avait été embauchée à l’essai, il y a trois ans, et qui perdait toujours ses roues ? Kafui travaille dans l’enclos (des poules, des canards, etc). Elle porte un pagne bleu, délavé, autour de la tête.

Gougoui demande à Fo Bomboma d’effectuer quelques rangements dans les placards du grand couloir.

- Avant le retour de Nicole !

Bomboma, tout le monde ici l’appelle Fo Bomboma (même son beau-père, le vieux Kluvi). Il est donc le grand frère de tout le monde.

Bomboma, c’est aussi l’homme à qui Gougoui confie volontiers (mais jamais « pour toujours » ?) ses clefs. Celles des placards, du cagibi qui abrite le petit groupe électrogène, des portes d’entrée…

Chérita est toujours gaie. Elle n’arrête pas de travailler. Elle est sans cesse à la recherche d’un truc à faire. Mais aujourd’hui, elle doit retourner au Quilombo. Elle commençait à se plaire au gîte... Elle regrette...

Kossi porte une catapulte dans la poche arrière de son jeans de travail. Pas une grosse bite mais deux gros bras de culturiste. Les bras en l’air (comme dans les polars). Biens en chair. Biens musclés.

Gougoui est assis dans la paillote « salle à manger particulière ». Cette paillote, très fraîche et agréable, a ceci de particulier qu’elle a été construite sans poteau de soutènement au milieu, par des jeunes de Badja qui « ont la technique ». De cet endroit, Gougoui gère tous les travaux du matin.

- Au début, je n’osais pas m’y installer. Je n’avais pas confiance. J’ai attendu deux ou trois mois…

Ce matin, un des menuisiers a déserté, le « moins jeune » (Papa ?). Il n’avait pas vraiment le coeur à l’ouvrage. Il passait son temps à Badja, à festoyer, à boire et draguer ? Il est retourné à Lomé, y faire le Zémidjan ? Koffi passera, dans la journée, pour continuer le travail avec François, le « moins âgé ».

- Et Mawussi, douchka ?

- Elle vient à peine d’arriver. Elle commence son service plus tard, aujourd’hui. Tu m’aimes ?

- Et Kudjo,

- Je viens de le voir passer, avec une brouette, dans l’allée principale, tout près du parking.

Gougoui devra se rendre à Lomé tout à l’heure.

- J’attends d’abord l’arrivée des mécaniciens qui doivent venir réparer le moteur du grand groupe.

Je lui passerai un peu d’argent pour Ekoé. Qu’il puisse acheter des T-shirts. Quelques T-shirts ordinaires (pour moi) et aussi des T-shirt avec des trucs dessus (pour Lianja) (et pour Djuna également, non ?) (tant qu’ils vivent à la maison, on doit encore les vêtir, ces grognards-là , non ?) (c’est ce qu’on appelle, en droit de la famille, une obligation vestimentaire, non ?) et un aussi pour lui, évidemment. Des T-shirt que les jeunes aiment porter quand ils vont, le dimanche, frimer sur la plage de Lomé.

- Où ça exactement, Gougoui ?

- En face de l’hôtel Ibis (anciennement hôtel « Le Bénin »). C’est là qu’il y a la foule. Mais jusqu’à l’hôtel de la Paix, sur un kilomètre, il y a toujours du monde.

Le mécanicien semble lui avoir fait faux bon. Gougoui décide

- Mobudiééé !

- Mais non, petite chérie, c’est Gougoui qui a décidé, ce n’est pas moi ! Je ne suis pas dans ce plan-là.

de ne plus l’attendre et de descendre sur Lomé. Chérita a mis toutes ses affaires dans un sac noir en plastique et s’installe dans la voiture, à l’arrière, en route pour le Quilombo.

Les trois sculptures d’Assou Kossi (alias Modesto) continuent de monter la garde.… D’affonter les saisons (les sèches et les pluvieuses)…Et de rouiller en plein air… Sans même être assaillies par les termites... Sont-ce des repaires d’essaims de tétanos ?

- Mais oui, petite chérie, je ne déconne pas, aucune bête ne m’a piqué. Et pourquoi, après tout, le tétanos ne pourrait-il pas être une abeille ?

Ah ! Encore presque une embrouille…

Je venais de terminer de manger et j’ai voulu péter. Assis sur ma chaise. Tout en continuant à travailler. Et j’ai bien failli chier dans mon froc ! Sans même un slip ou un caleçon (quelle est la différence ?) ou une couche-culotte de rétention, ça pouvait être catastrophique, hic !

- Je te l’ai déjà dit, douchka, tu es une maison de vieux à toi tout seul !

Sans compter que, depuis quelques jours, je suis en train d’essayer, l’un après l’autre, tous les pantalons wax que j’ai commandés à Maître Benoît et que je compte bien offrir à ma population (à Eric, à Alain, à Henri, à Lianja ?) pour qu’elle simule

- Eeeh ! Eeeeh ! Aoloooooo !

- Qui ça, douchka ?

- Ma population, petite chérie !

l’orgasme en me revoyant. Et celui d’aujourd’hui, hi !... j’aurais pu me le garder, eh !...

Je me précipite aux toilettes. En serrant les fesses. Mais, par bonheur, il y a plus de peur que de mal. Et la situation est, de nouveau, sous contrôle.

Et, en plus, ça va me faire maigrir, waow !

- Tu vois bien que je fais des efforts, petite chérie.

Mawussi dort dans la salle à manger. Couchée sur un des deux très longs et très larges bancs en bois de la grande table familiale. Peut-être devrais-je arrêter de travailler et faire aussi une sieste.

- Bouffe, dormir !

- Non ! Boulot, dodo !

Pas moyen de roupiller. Je m’occupe. Je t’offre une « revue de la presse » des journaux de Lomé ?

La grande affaire, l’évènement, ce sont évidemment les résultats du tirage et le calendrier des matches pour la prochaine coupe du monde de football (qui font la manchette de Motion d’information) en 2006, en Allemagne. Tu sais déjà que l’équipe du Togo est qualifiée, j’imagine. Et les « Eperviers » seront, au premier tour, opposés à la Corée du Sud, à la Suisse et à la France.

L’entraîneur nigérian de l’équipe du Togo, Stephen Keshi (dans Golfe Info, en page quatre) déclare

- Nous n’avons peur de personne.

Et Assogbavi K. Espoir, le secrétaire général de la Fédération Togolaise de Football (en première page de Golfe Info) déclare

- Le Togo peut valablement se retrouver au second tour.

Et les Togolais dans leur ensemble (surtout les Loméens ?) déclarent à qui veut bien les entendre (dans tous les bars et sur tous les trottoirs).

- Les Français, on les battra. Comme les Sénégalais l’ont fait à la précédente édition du Mondial !

Par ailleurs Motion d’information reste toujours très branché sur le Congo-Kinshasa. On y publie la suite des « fracassantes révélations du gendre de l’ex-Président du Zaïre » et un « droit de réponse de M. Nsungani, chargé d’affaires de l’ambassade de la RDC au Togo »

Bon, petite chérie, je sais que tu n’aimes pas le foot et la politique… Passons à autre chose…

Autre chose c’est, tout d’abord, l’histoire des amours d’Arnold et d’Amélie, telle que racontée par Exo 7 dans Nouvel Echo (sous le titre « Amélie sème son copain de toujours »). Arnold, conseillé par son ami Léonard avait fini par « se fixer » : « cela fait plus de trois mois qu’on le voit traîner avec la même fille, Amélie, une beauté qui hante les fantasmes de tous les phallocrates ». Il y a trois jours, cependant, « Amélie a demandé un peu d’argent à Arnold pour aller rendre visite à une tante malade dans une ville de l’intérieur du pays ». Tout le monde croyait donc Amélie hors de Lomé pour une semaine. Et ne voilà-t-il pas que Léonard, l’ami et le conseiller, découvre la demoiselle, tout à fait par hasard, dans une concession d’un quartier de Lomé, sortant d’une chambre, « un pagne noué sous les aisselles », se saisissant d’un seau et se dirigeant vers les douches, suivie d’un jeune homme sortant de la même chambre, « une serviette autour des reins ». Léonard, perdu dans la masse des buveurs, n’en revient pas : « aucun doute possible, c’est Amélie et elle va prendre un bain avec ce jeune homme qui n’est ni un curé, ni un parent à elle ».

- Pas mal + !

Autre chose, c’est aussi (toujours dans le Nouvel Echo), Ahoévia qui, dans son carnet, s’interroge sur ce que les gens vont manger à « Nouwel » et à « Bonani ». Et sur ce qu’ils vont « cocoliser ». C’est pas mal du tout mais c’est un peu trop long et trop compliqué à t’expliquer. La prochaine fois peut-être, quand il fera moins chaud et que je serai plus en forme…

- Wallaï ! C’est comment ?

Les libellules sortent en bande. Pourquoi aujourd’hui ? Et pas hier ou demain ?

Le zémidjan de Koffi est parquée à côté de la paillote-loge du gardien. A l’ombre. Yao-le-cuisinier regarde avec intérêt Koffi et François, le « moins âgé » de l’équipe des raboteurs (celui qui n’a pas déserté), travailler.

- A chacun son talent ! Les menuisiers ne savent probablement pas faire la cuisine.

Kudjo taille des haies. Kafui somnole. Elle me demande si Ana a téléphoné hier. Je lui dis que oui. Et que ma grande fille, Hortense, aussi.

- Elle habite en Belgique ?

- Oui, à Bruxelles.

Kafui me dit qu’elle beaucoup de cousins en Belgique.

- Mais pas à Bruxelles, à Liège !

Et si j’essayais de soudoyer Kossi ? Et d’obtenir qu’il m’abandonne sa catapulte ? Gougoui serait très fâché ? Je cherche Kossi mais je ne vois pas. J’interroge Yaovi. Qui remplit des bassines d’eau puisée dans la citerne, les transporte sur le chariot, remplit les chantepleures

- Ça, c’est du vocabulaire, petite chérie ! Apprécie ! J’ai trouvé ça dans le dictionnaire des synonymes d’Henri. Je n’allais quand même pas écrire que Yaovi remplissait les « arrosoirs » et, ensuite, qu’il « arrosait » les fleurs !

et arrose les fleurs du parc.

- Où est Kossi, Yaovi ?

- Comme c’est lui qui est chargé de faire la garde ce soir, il est parti se reposer.

- Le vieux Kluvi ne vient pas travailler aujourd’hui ?

- Il a pris congé.

Merde alors, c’est raté !

Demain, j’essaie encore ?

- Mais ce sont des comportements « à la Daniel », ça, douchka !

- Qui vient de dire ça dans le fond de la classe ? Levez le doigt, petite chérie ! Que le coupable se dénonce ou je punis tout le monde ! … Et après on prétendra que c’est moi qui le « cherche » ce copain-là, Daniel !

Je ne peux quand même pas faire ça à Gougoui. Ce ne serait pas loyal (penses-tu, petite chérie

- Tu me connais bien, non ? Tu m’aimes ?

- Eh oui, je te connais !

- Eh oui ?

- Oui !

que je puisse monter des coups pareils ?). D’autant plus que Gougoui vient de rentrer de Lomé. Avec des disques de musique congolaise. Pour moi. Et des antibiotiques

- J’avais demandé à Gougoui d’aller lui-même voir la pharmacienne de la Cité. Il y a trois ans, quand je lui avais commandé la même chose, elle m’avait réclamé une ordonnance. Je m’étais alors référé au docteur Koffi A. Kuzeawu, d’Aflao Gakli, qui, à l’époque, soignait Djuna (sa crise de paludisme carabinée), et elle lui a téléphoné pour avoir confirmation de mes dires. C’est une personne « compliquée » mais peut-être, simplement, fait-elle correctement son travail (ou a-t-elle voulu « en jeter », m’impressionner) ?

à large spectre. Pour moi.

Et qu’il me rapporte aussi quatre nouveaux journaux.

- Qui viennent de paraître, aujourd’hui même. Quatre hebdos : Golfe Info, Liberté Hebdo, Tingo Tingo et La Dépêche. On me les amenés au Quilombo. Ce ne sont pas les mêmes que ceux que j’ai achetés lundi. Le vendeur me l’a assuré.

Pour moi. Et qu’il me remet à l’instant deux autres catapultes. Et m’en fait cadeau. Des catapultes qui ont été fabriquées par Yaovi. Aujourd’hui même. Avec de bois du château et des élastiques (et des morceaux de cuir) achetés hier au marché de Badja. Ce sont des bites, évidemment, mais sur le gland on peut voir, à peine esquissée, une tête. J’en remettrais bien une à Nzema Omba (avec un gros paquet de journaux, ça devrait aller, non ?). Objet culturel !

Dix-sept heures trente. Je me parfume toutes les parties sensibles du corps (le cou, les oreilles, les doigts, les orteils) à la crème anti-moustiques. J’évite de m’en mettre sur les yeux, la langue, l’anus et la bite.

Du deha ! Dans une bouteille en plastique qui fait un bruit de pneu qui se dégonfle lorsqu’on l’ouvre.

Et une « spéciale » comme apéritif. Du zoè que Gougoui a acheté près du Quilombo. Une espèce de turron togolais. Fait avec de l’arachide, du sucre et du piment écrasés (et, quelquefois, un peu de farine de maïs). Ça pique un peu.

Et une « exquise » pour toi, au dîner. Mais pour moi ce sera une « spéciale» (le crabe dans les épinards, ça ne me branche pas terrible) (sur la plage, au lit ou dans mon bain, non plus !). Ce sera donc la fameuse « sauce épinard » (avec du poisson fumé, du bœuf, du crabe, du poulet) (c’est un plat de riches, quoi !) (et des graines de courge et du piment, évidemment !) (et du gari, évidemment) ! La reine des sauces !

- C’est la « sauce» dont Michel et Jipéji parlent dans leur bouquin et que Jules N’Gole Iliki avait un jour découverte par hasard au Tournant… Et le lendemain il était revenu et avait voulu commander, de nouveau, « la même chose » ! Tu te rappelles, petite chérie ?

-Tu me prends pour qui ? Tu veux me faire passer pour quoi ? C’est moi qui t’ai raconté cette histoire, bandecon !

Ce soir, sur la terrasse, Dog entreprend de sauter Bull. C’est sans équivoque. Dog a déjà tous les gestes qu’il faut.

Bull est encore vierge et Dog puceau, mais… Sont-ce ses premières chaleurs ?… Est-ce son premier émoi ?... Toujours est-il que Dog grimpe vaillamment sur le dos de la demoiselle, joue des reins, tire la langue… Comme un grand !... Mais il est un peu petit de taille (il faudrait lui refiler un tabouret)… Et le manche de sa catapulte laisse encore beaucoup à désirer… Le gagaragassou ne veut toujours pas se lever…

Chuuut ! On se calme !

Et on ne lèche pas la crème anti-moustiques des gens. Ni leurs cigarettes. Surtout quand elles sont allumées. Fumer tue.