A Nassogne
sous-titré Presque un mois chez Gougoui Kangni
roman,
2005-2006
Extraits
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Le sixième jour
Chaque jour est un nouveau chapitre. Le plus dur, c’est de le commencer.
Réveil à sept heures.
Ben oui, hier soir, j’ai bu un litre et demi de deha, quoi ! Et j’ai travaillé jusqu’à presque minuit. J’ai même réussi à glisser, dans une précédente journée, toute une séquence érotique dans le roman que j’écris sur Gougoui. Avec sa belle-fille et son beau-fils comme acteurs principaux. Ou, à tout le moins, ai-je écrit un paragraphe dans lequel le mot érotique, hic ! figure. Et je n’hésite pas
- Je suis plutôt content de moi, petite chérie !
- Comme d’hab, douchka !
- Qu’est-ce que tu dis, petite chérie ?
- Je dis « comme d’hab », douchka !
à exprimer ma satisfaction. Ana ne comprendra jamais toute l’énormité de ma modestie ?
Détournons la conversation. Tu me demandais des nouvelles de John le flûtiste ? Il est toujours « dans le bâtiment » (avec son copain Yao) (encore un Yao !). Mais lui et Roger ne travaillent plus ensemble (Roger construit toujours) (c’est ainsi qu’une ONG vient de lui passer commande de toute une série de châteaux d’eau pour les dispensaires ruraux des environs) (mais il s’est aussi lancé dans l’informatique, les reportages video, etc…). Et John, à présent indépendant, est devenu plus cher. Mais Gougoui fait encore appel à lui pour les travaux importants.
- C’est lui qui a terminé les travaux de la grande rotonde. Les gars de la première équipe s’étaient plantés.
Waow ! Nous sommes quelqu’un de plus aujourd’hui.
Cette nuit, en effet, il y a eu une naissance au château.
Il se fait que le bouc, dont on disait qu’il était paresseux, avait quand même (sournoisement ?) réussi à engrosser sa petite sœur. Et que celle-ci avait bien caché son état jusqu’à maintenant. Et que personne
- Et même Fo Bomboma, douchka ?
- Même Fo Bomboma, petite chérie !
- Et même Kafui ?
- Même Kafui !
n’avait jamais rien remarqué (elle avait un peu de bide mais peut-être mangeait-elle trop d’herbe ?).
Je te l’ai déjà dit (et, comme d’habitude, je me répète), il se passe toujours quelque chose au château. On n’a jamais la paix (je n’ai pas le temps, par exemple, de mettre à jour mon carnet d’adresses Outlook et de rendre encore un peu plus compliqués mes « Contes d’apnée ») (de me les triturer et de me les tripoter et de me les torturer et de me les torsionner) (comme les boutons du poste de radio de Gougoui) (de leur faire rendre gorge). On ne peut jamais se reposer. C’est comme toi à Bruxelles (comment va Kabeya ?) (et Lamin Kora a-t-il déjà débarqué ?) (et Ngbanzo la Mangale est aussi annoncé, paraît-il ?) (et Ekambo, on ne le verra pas pour les fêtes ?) (et Djuna Djanana ne viendra pas donner un concert à Bruxelles d’ici le fin de l’année ?), non ?
Et voilà donc que l’ex-
- A Nassogne, les souvenirs durent longtemps. Tout le monde se rappelle de ceux qui sont venus ils y a trois ans. Et du détail de leurs aventures.
copine de Djuna (mais non, pas Difan… la biquette !) (la chèvre que Djuna passait son temps à taquiner) (la mère de la frêle accouchée et de son vil enceinteur) est à présent une vénérable koko. Gougoui et moi partons visiter la parturienne et la féliciter. Elle restera dans l’enclos avec sa petite (sinon Bull et Dog vont jouer avec le bébé et finiront par le croquer ?). On lui amènera à manger à la maternité. Beaucoup. Beaucoup. Beaucoup. Il faut bien vivre (naître, manger, grossir) pour finir par être dévorée avec un bel appétit, non ? Et les fruits de l’inceste n’ont-ils pas une chair plus tendre ?
Dix heures trente. En sortant de ma chambre-bureau (prendre du café et/ou visiter le site wwW.Com), je tombe nez à nez sur trois clients. Dans le couloir. Trois hommes. Je ne les avais pas entendu venir (je manque de vigilance ?). Ils visitent les lieux (Kafui leur sert de guide). Prospection ? Boiront-ils un verre ou resteront-ils déjeuner ? Ou reviendront-ils plus tard ? Dans la soirée ? Accompagnés ?
Ils boivent un verre sur la terrasse. Du sucré. Puis je les entends discuter avec Gougoui.
La suite, on verra.
Onze heures moins le quart. Encore une voiture. Encore de hommes. Deux. L’un en boubou trois-quart (à manches courtes), l’autre en boubou trois pièces. Ils vont s’installer sous la rotonde.
Décidément, tout le monde va à la messe, ce dimanche.
Mais où sont les femmes ?
Onze heures. Un nouveau coup de klaxon. Entrée ou sortie ? A présent, ça n’arrête pas. Pit et Bull (attachés depuis peu) font très bien leur métier. Ils aboient juste ce qu’il faut (montrer qu’on est là mais ne pas effaroucher les clients).
- Et Dog, douchka ?
- Dog ? Pas vu !
Onze heures quinze. Le trio s’en va.
Mais où sont donc passées les femmes ? Tu m’aimes ?
Midi. Un autre groupe de trois personnes. Ils visitent. Cela veut donc dire que Radio Nana FM est très écoutée par tout le monde.
La suite, on allait voir, disais-je.
Voici donc la suite.
Le premier trio ? Ils reviendront passer les fêtes de Noël au château (ou au « gîte rural de Nassogne » comme ils disent), en famille. Avec « bonnes » et enfants. Et même un sapin (en plastique ?). Ils ont réservé. Pour trois jours. J’aurai des voisins de chambre jusqu’à la veille de mon retour sur terre.
Les deux hommes qui sont partis boire sous la rotonde ? Ils ont tenu à saluer Gougoui avant de partir. Ils trouvent l’endroit extraordinaire. Ils repasseront. Avant de partir, ils ont fait goûter à Mawussi (Gougoui, méfiant, n’a rien voulu prendre) un verre de « jus de fruit » qui, en fait, était une liqueur de gingembre (dénommée « Picante ») (sous-titrée « bois bandé ») de 40 degrés. Ils ont même laissé le fond de la bouteille.
- Pour que vous vous fassiez une idée !
Des représentants de commerce ?
Le coup de klaxon de onze heures ? C’était « le commissaire » (originaire du canton de Badja et travaillant à Lomé) (rendant beaucoup de services aux gens d’ici) (et ayant un élevage de bétail dans les environs) (130 bêtes !) (et des champs qu’il visite régulièrement) venu chercher ses citrons et prendre son déjeuner sur place.
- Il paie son repas, le commissaire, douchka ?
- Toujours, petite chérie !
L’autre groupe de trois personnes. Ils ont visité et ils sont repartis. Sans causer. Sans rien consommer. Radio Nana FM est aussi écoutée par n’importe qui !
Ouf ! J’arrête là mon inventaire et mes commérages, ça devient fastidieux, non ? On maaange…
- Qu’est-ce qu’on mange ?
Je sais que tu n’es pas très curieuse et je te dispense de l’entrée (et pourtant, en sus de la salade, il y avait des rillettes !) (Gougoui les avait préparées ce matin !) et du dessert ?
- Et ton régime, douchka ? Je dois toujours te rappeler la même chose ! Tu ne m’écoutes jamais ! Ça m’épuise !
- Pour te dire vrai, petite chérie, je crois qu’il est absolument impossible de faire régime à Nassogne ! Oublie ça ! J’en souffre…
- Tu parles !
- Mais j’ai décidé…
- Mobudiééé !
- …d’en prendre mon parti, petite chérie. Tu m’aimes ?
Et voici le plat que Yao-le-cuisinier nous a préparé aujourd’hui : de la semoule « normale » (un mélange de farine de maïs et de farine de manioc) et/ou du djinkoumé avec une « sauce » (huile rouge et tomates fraîches) (ou concentré de tomates) (avec petits poissons frits, gombos, aubergines du potager, etc.).
- Un plat tout simple mais sacrément bon !
Comment t’expliquer ? Je prends tellement de pieds que je n’en ai plus de chaussures. Je m’éclaaaaate ! dirait Rachou.
- Encore heureux, petite chérie, que l’abus de café, de deha (surtout le fond de la bouteille) (avec les dards des abeilles et les mandibules des fourmis ?) et de piment (j’ai renoncé à dire pili-pili, personne n’a jamais entendu parler de ça ici) (sauf Kafui) me donne quelquefois les chiasses plantureuses et grandioses dont j’ai besoin ! Tu m’aimes ?
Tasse de café et
retour à la chambre départ.
Gougoui va jeter un coup d’œil sur ce que font les gens là-bas (dans l’atelier-salon) puis, me dit-il, il ira s’installer dans sa tour de contrôle. Sous la petite paillote ? Celle où Nicole, il y a trois ans, avait l’habitude de se cogner la tête à l’entrée ? Faire un bout de sieste ?
Moi aussi. Je m’étends sur le lit
- Bouffe, dormir !
et j’entreprends de lire un polar (ce sera fastoche, j’ai déjà lu ce bouquin deux fois, il y a trois ans, et je ne devrai pas me casser trop la tête à tenter de distinguer les personnages les uns des autres et à essayer de comprendre l’intrigue) (d’autant plus qu’Ana n’est pas là pour me traduire le français en français).
Un bras me fait signe (ou un visage s’agite-t-il ?)… Devant la fenêtre qui me fait face… C’est une oreille d’éléphant… Ou un bec de perroquet… Ou une griffe de fée ?
Je pourrais m’endormir…Mais, dans la tour de contrôle, on ne dort pas.
- Didier ! Didier !
Gougoui m’appelle et m’annonce que des clients (un homme et une femme) (enfin une femme !) sont venus couper le ruban et inaugurer
- Slurp et Flop (comme écrirait Fo. B dans la chronique « ça va se savoir » de Liberté Hebdo) !
les bungalows.. Et qu’il va être obligé de « basculer » du solaire au groupe.
- Il fait très chaud à l’intérieur des bungalows ! les clients demandent qu’on leur mette du courant pour pouvoir allumer le ventilateur!
Ce sont les groupes électrogènes, en effet, qui alimentent les bungalows en électricité. Et sans ventilateur, les passions poissent et les spermatozoïdes se liquéfient. Ce qui rend la fécondation aléatoire.
- Chouette, je vais pouvoir mettre le ventilo de ma chambre en route !
Trente minutes après, les pales s’arrêtent de tourner. Le coup a été tiré (coup pressé !). Les clients sont partis (qui va nettoyer la piaule et changer les draps ?). On repasse du groupe au solaire.
D’accord, d’accord… J’avais dit que j’allais cesser de cancaner… Effectivement…Mais je ne peux pas me retenir…
- Si tu continues à les espionner comme ça, les gens vont fuir, bandecon ! Tu vas faire peur aux clients de Gougoui !
- Depuis ma chambre, j’ai une vue directe sur le grand parking et les bungalows, petite chérie. Je ne me montre pas et personne ne me voit.
- Mais imagine qu’il leur arrive, aux gens, de lire ce que tu écris ?
- Je dirais : enfin des lecteurs ! Mais, de toute manière, petite chérie, je n’écris rien de méchant. Et, de toute façon, les gens, quand ils ne sont pas nommément cités, ne se reconnaissent jamais. Ils reconnaissent toujours les autres.
Je t’offre un dernier « plat de résistance », celui du soir, et puis on n’en parle plus, d’accord ? Ignames bouillies, bananes plantain bouillies, manioc bouilli et œufs durs, d’accord ? Plus une sauce tomatée avec de petits poissons fumés, d’accord ? Pas de salade verte ni de fruits du parc, ça fait grossir, d’accord ?
Plus tard, dans la soirée, je bois mon litre et demi de deha. Et je casse un verre (encore à moitié plein !) (meeerde !) en voulant donner aux chiens des amuses-gueules (faits par Kafui). J’enrage. Qu’on punisse les chiens !
Gougoui propose de « bomber » ma chambre-bureau. La nuit dernière, je n’ai pas vu ni entendu un seul moustique. Mais je ne refuse pas.
Bull et Dog font du catch. Il ne faudra pas attendre longtemps pour que Dog saute Bull. Il s’entraîne déjà tous les soirs.
Pit observe avec bonhomie
- Les jeux d’enfants, on sait ce que c’est !
et détachement. La « chose » ne l’intéresse plus.
- On sait où ça mène !
Le groupe électrogène de la ferme Ayobele
- Ayodele !
se met en route, plus tard que d’habitude, à sept heures moins le quart (on n’entendait rien, on ne voyait aucune lumière, on croyait que leur machine était en panne). Des neveux du commissaire viennent chercher encore trois sacs de citrons (ceux que Fo Bomboma a cueillis dans la journée d’aujourd’hui). J’entends glousser du côté de l’enclos.
J‘interroge Gougoui
- C’est quoi ?
- C’est le vieux d’à côté !
- Il élève des dindons ?
- Non, il tousse. Et quelquefois il chante aussi. Toute la nuit. Lorsqu’il fabrique des fétiches pour protéger ses champs de maïs.
- Et sa femme, elle noue toujours de petits bouts de tissus rouge sur les fagots qu’elle met en vente au bord de la route de Todomé ?
Vingt-deux heures quinze. Je viens de terminer ma première cartouche de cigarettes « Bond » et j’ai déjà écrit près de trente-deux pages (en Word, Times New Roman, Font Size 12). Bientôt je serai à court de fiches. Et ça ne m’angoisse pas. Tout baigne. Je crois que je peux aller me coucher, non ? Tu m’aimes, oui ?