lundi 26 avril 2010

A Nassogne - Le huitième jour

Didier de Lannoy
A Nassogne
sous-titré Presque un mois chez Gougoui Kangni
roman,
avec des personnages réels, se passant en un lieu précis, à une époque déterminée
2005-2006
Extraits

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Le huitième jour


Six heures. Chaque jour, disais-je, est un nouveau roman. Il faut assurer. Et ce n’est pas toujours facile. Il y a des jours avec. Il y a des jours sans.

Mais, en général, le rendement est bon. Moins d’une semaine et déjà près de quarante pages.

- Et combien de kilos en trop, douchka ?

Il faudrait que je retrouve mon programme. La fiche sur la quelle j’ai noté les instructions et commandes d’Ana. Il serait temps que je m’organise.

Mais j’ai beau chercher, je ne la vois plus nulle part, cette foutue fiche.

- Et ton couteau d’Air France ?

- Non plus, petite chérie…

Je me rappelle quand même certaines choses qui étaient inscrites dessus : les chaussures d’Ana (achetées à Lagos) (chez un cordonnier sénégalais) (voir si

- Gougoui s’en est déjà occupé, petite chérie. Je dois simplement suivre le dossier…

les cordonniers du coin peuvent fabriquer le même modèle), les cinq à six (ou moins ?) boîtes d’antibiotiques « à large spectre» (à acheter à la Pharmacie de la Cité), les médicaments que le docteur Beeth m’a prescrits (ne pas oublier de les prendre tous les jours), les bâtonnets dont on se sert pour nettoyer les dents (nzete ya mino ?) pour Djuna et Lianja (j’ai déjà « envoyé » Fo Bomboma !), le régime (qu’Ana voudrait me faire

- Je voudrais que tu perdes encore cinq kilos de graisse, douchka !

respecter), les pantalons (à faire

- C’est fait, petite chérie !

réparer) et encore les pantalons wax (à faire

- Ce sera fait dans la journée, petite chérie !

faire)…

Nzema Omba m’avait aussi demandé de lui rapporter quelque chose (mais quoi ? des revues, des « objets culturels » ? lesquels ?) du Togo pour Panafrica…

- Et qu’est-ce que je pourrais bien lui ramener ? Une pipe en terre ou en bois de la région de Kanté (ou Kandé ?), au nord de Kara, près du Bénin, la région des fameux « tatas » classés par l’Unesco, c’est du culturel diplômé, ça, non (mais je ne vais quand même pas me déplacer jusque là) ? Ou une calebasse ghanéenne, décorée et peinte en noir et en rouge (mais ce n’est pas togolais, ça !) ? Ou, plus simplement, des catapultes érotiques (mais Philippe Guilmin a déjà mis le grappin sur tout le marché…) ? Ou alors, une revue ou une autre, paraissant à Lomé et qui traite de la musique togolaise (ainsi Nzema Omba apprendra-t-il, dans Kyrielle, que « le hip hop vire au tradi-hip » et que l’Eperviermania s’empare des artistes du pays), de mode et de spectacles ?

Ouf, je viens de retrouver ma fiche !

- Et ton couteau d’Air France, douchka ?

- Toujours pas…

J’avais, me semble-t-il, retenu le plus important mais je lis aussi qu’Ana avait demandé (avec insistance) (en soulignant trois fois) que je lui lui ramène des ngubas (fraîches et pas fraîches) (je vais « envoyer » Kafui !) et des bâtons de canne à sucre (je vais aussi « envoyer » Kafui ?) et une bouteille d’Awoyoo (et pourquoi pas du sodabi ?) et du gari (un sachet seulement ?) et des insectes miniatures.

- Des insectes miniatures, petite chérie ?

- Tu demandes à Gougoui. Il saura de quoi il s’agit.

et des cassettes et des CD de vieille ou de nouvelle musique congolaise (on trouve ça à Lomé) (on en vendait, il y a trois ans, dans une petite échoppe de Bè-Klikamé, pas loin du Quilombo, juste à côté du rail).

Mawussi porte une très jolie robe en tissus de pagne. Mawussi, la bien sapée, la souriante et la boudeuse (l’alanguie !), qui traîne un peu les pieds et dont les mains sont molles. Hier, en fin de journée, Kafui, était habillée d’un short bleu et d’un T-shirt orange. Aujourd’hui, elle a remis son pagne de travail habituel. Toutes les deux se défrisent les cheveux.

Et si les cheveux défrisés, c’étaient des perruques qu’on n’enlevait jamais ? Même pour préparer à manger et faire la lessive ? Même pour faire la « chose » ?

- Comment ça s’est passé son congé, à Mawussi ? Qu’est-ce qu’elle a fait ?

- Rien, elle a dormi, petite chérie ! Tu m’aimes ?

Mardi, jour de marché à Badja (quelquefois, à Badja, mais aussi à Assahoun et à Noépé, principalement à l’approche des fêtes, les revendeuses venues de Lomé se postent, très tôt, sur les chemins et routes de terre qui mènent au marché… elles « coupent » ainsi tous les accès, font leurs prix et négocient directement avec les paysannes qui s’amènent à partir de cinq heures du matin pour vendre leurs poules ou leurs légumes). Le marché c’est le lieu où tout le monde se rencontre. Là où il faut se montrer. Là où les informations circulent. Là où se transmettent les messages. Là où on peut trouver quelqu’un à « envoyer ». Là où se passent les « commandes » et où se contactent les « démarcheurs ». Là où se concluent des arrangements.

Là où Michel cherchait, en vain, des épices « différentes »…

Ça dure toute la journée (et pourtant le marché de Badja est un très petit marché, qui n’a rien à voir avec le grand marché du samedi, à Assahoun

- C’est déjà une grande bourgade, Assahoun. Il y a même une radio privée. Gérée par un aveugle. Et qui couvre toute la région. On l’entend jusqu’à Noépé.

ni même avec le marché « moyen », mais déjà très important, de Noépé, le jeudi). Et même quelquefois tard dans la nuit.

Fo Bomboma (sapé comme un dandy

- Il va voir sa femme à Lomé ?

- Non. Il a sûrement autre chose à faire. Avec quelqu’un d’autre. Ailleurs.

ce matin !), Kudjo et Yao-le-cuisinier

- Je vais enfin pouvoir faire régime, petite chérie !

ont pris congé. Kossi travaille (il continue de tondre le gazon avec un coupe-coupe, devant les bungalows) (son congé, il le prend le jeudi) et Yaovi aussi (il fabrique encore quelques corbeilles) (et son jour de repos, c’est le dimanche). Kafui (son mari est à Libreville, ses enfants sont à Aneho, elle s’emmerde toute seule à la maison ?) ne prend jamais congé. Et le vieux Kluvi non plus, ou presque pas (un mercredi sur deux seulement), il préfère toucher des sous en plus.

Kafui m’annonce que Maître Benoît est là. En short. Sans sa radio. M’apportant les trois derniers pantalons wax que je lui avais commandés. Je lui donne à nouveau mon vieux pantalon kaki, pour qu’il en renforce l’entrejambe (endroit critique, hic !)

- J’ai ce pantalon depuis plus de dix ou douze ans. Et je veux qu’il m’accompagne jusqu’à la mort !

Gougoui a retrouvé le collier de Bull (que Dog était en train de mordiller). A l’arrière. Près de la niche de chien construite pour Pit (lequel n’a jamais voulu y entrer) (et où Gougoui entrepose à présent du charbon de bois)

- Par contre, quand il était petit, il aimait bien se mettre dans le four !

Gougoui doit aller à la préfecture de l’Avé. Une affaire à régler. Il n’attend pas l’arrivée de Koffi et de son équipe de menuisiers.

- Et comment va la biquette, douchka ?

- Je suis allé la voir, petite chérie. La mère et l’enfant se portent bien.

Kumi (ou Komi) (ou Kuami), le maçon originaire de Badja (et qui y loge quand il a un chantier dans les environs) et son assistant

- Ce n’est pas vraiment son assistant. C’est son pote. Il l’accompagne partout. Un suiveur mais un dormeur. La plus grande partie de la journée, il la passe allongé sur un banc, en dessous des tecks, à roupiller !

achèvent de cimenter la citerne (une énorme cul d’abeille reine, ferme et dodu) qu’ils ont construite à côté de l’atelier-salon.

Les chiens ne font pas la chasse aux papillons… Beaucoup d’efforts pour peu de viande… Pourquoi s’en prennent-ils alors, le soir, aux mantes religieuses ?

Nouvelle arrivage de chair fraîche au château. Des pintades (en provenance de Dapaong) que Gougoui a achetées hier à Lomé. Un mâle et trois femelles. Vendues au bord de la route. A un carrefour que tout le monde connaît. Elles ont pris leurs quartiers dans l’enclos des chèvres, des canards (et des poules) (et, à partir d’aujourd’hui, des pintades aussi). Demain, on en exécutera une (que Gougoui placera dans le congélateur du Quilombo). Les autres, on va d’abord les engraisser. Au « son cubé »…

Ah, le son cubé ! Le plat dont tout le monde raffole dans l’enclos. Les canards et les poules. Et les pintades aussi.

Et les chèvres aussi. Mais on les attache pendant que mange la volaille. Après tout, les chèvres, si elles ont faim, elles n’ont qu’à aller brouter (des feuilles ou de l’herbe, ça ne manque pas), quoi !

Quatre entrées et, bientôt, une sortie ?

Kafui chantonne. Elle repasse (avec un fer à braises) sous la paillotte de la cuisine. Kafui est presque aussi curieuse que moi (je ne garde la mémoire de rien et c’est la raison pour laquelle je note tout ?) (et c’est ainsi que je suis devenu un écrivain privé ?) mais elle se contient encore. Mais pourquoi se retenir, Kafui ? On ne peut pas répondre à mes questions sans m’en poser. Et je ne peux pas poser de questions sans répondre à celles qu’on me pose. Lâchons-nous !

De toute manière, entre pipelettes, on finit toujours par bien s’entendre… Je te dis, tu me dis, on se dit… Et personne ne raconte de méchancetés sur personne… Je m’intéresse à toi, tu t’intéresses à moi…Chacun s’intéresse à chacun... Et tout le monde a l’impression d’exister et tout le monde est content…

Kafui a entendu parler de Djuna et de Lianja. Et d’Ana, bien sûr. Et aussi des autres filles de Nicole. Et d’un jeune garçon de douze ou treize ans.

- David, le petit bonhomme ?

- Oui, c’est ça.

- David est déjà venu ici. Il y a quatre ans (quand Gougoui et Nicole habitaient encore Aflao-Gakli et que Nassogne était en construction). Le petit bonhomme est maintenant devenu un beau jeune homme. Il a une grande sœur, nommée Sarah, mais qui ne s’est jamais pointée par ici.

- Et comment s’appelle leur maman ?

- Agnès. Elle habite en Espagne à Valencia. C’est ma copine…

- Et l’autre sœur, la troisième ?

- La troisième s’appelle Luz. Elle a un fils, Neil. Ils habitent près de Los Angeles, aux Etats-Unis. Luz déteste les moustiques, les termites et les fourmis (et toutes les petites bêtes qui grattent, qui grattent, qui grattent) mais elle finira bien par venir.

- Et qui est l’aînée ?

- L’aînée, c’est Luz. Puis vient Agnès. Et ensuite c’est Ana, la toute dernière

Gougoui rentre de Kévé. Son affaire est arrangée.

Koffi le menuisier n’est pas encore arrivé.

Yao-le-cuisinier est en congé mais ce n’est pas une raison pour faire la grève de la faim.

- Et ne me parle pas de régime, petite chérie, alors que nous sommes obligés de nous débrouiller « entre nous », Gougoui et moi, comme des étudiants ! Tu m’aimes ?

On s’installe sous la grande paillotte, en haut du parc.

- Pour tester. En principe, à cette heure-ci, c’est l’endroit le plus frais.

Des rillettes comme entrée et des papayes comme dessert. Et Gougoui a pensé à ramener des brochettes d’Assahoun. Et du ablo (délicatement déposé sur des morceaux de feuilles de bananier, soigneusement découpées). On trempe ça dans une sauce blanche (tomates, oignons, etc)

- Pourquoi blanche, Gougoui ?

- Sans doute parce qu’elle n’est pas cuite… Mais c’est une expression que les gens de Paris utilisent… Je ne suis pas sûr qu’on s’en serve par ici…

- Mais, Gougoui, raconte-moi (comme dirait l’autre) (l’autre, c’est Daniel !), les Yovos, qu’est-ce qu’ils mangent, quand ils viennent à Nassogne ?

- Un peu de tout et ça dépend des goûts de chacun. Philippe, par exemple, raffolait des confitures mais n’appréciait pas tellement les « sauces ». Ce qu’il aimait, c’était la viande grillée : des pièces de bœuf, des saucisses… Il y a des religieuses qui font d’excellentes saucisses près de Dapaong, la région de Fo Bomboma et du CB… Quand Philippe est allé dans le nord avec Gabriel, il en a acheté plusieurs kilos…

- Des saucisses de porc ? En pleine région musulmane ?

- Au Togo, ça ne pose pas vraiment de problème. Tout est mélangé. Dans certains endroits, on vend bien du porc à proximité immédiate de la mosquée…

- Et Fo Bomboma, il n’est pas musulman, lui ?

- Il est adventiste du Septième jour (leur dimanche, c’est le samedi et le porc leur est aussi interdit). Comme Roger, Gabriel et John le flûtiste. Mais il ne pratique plus. Gabriel, lui, est prédicateur. Il est même venu prêcher à Kévé et il a eu beaucoup de succès (un prédicateur venant de Lomé, eh !) (de la capitale…).

- Et Philippe, dis-moi, a-t-il apprécié les brochettes de chien qu’on prépare dans le Nord, entre Kara et Dapaong, c’est un plat de cérémonies là-bas, non ?

- Ça, il faudra le lui demander.

Le chantier « maçonnerie » de l’atelier-salon de musique est à présent complètement terminé. Kumi et son assistant sont occupés à « descendre du toit ». Avec une bouteille de sodabi offerte par Gougoui .

Trois heures et demi. Une petite pluie pour se taper une petite sieste ? Bouffe, dormir ?

Pas possible. Un coup de fil en provenance d’Ixelles-Matonge. C’est Nadine, la (toujours aussi jeune) Mère Courage. Elle appelle d’une cabine.

- Tout se passe bien ?

- En général, oui. Et en particulier aussi !

Résumé des nouvelles.

Ana a reçu une goutte d’acide à l’œil en nettoyant la salle de bain (mais ce ne serait pas trop grave). Nadine va passer à la rue Maes voir si Ana va bien. Kusma est arrivé de Kinshasa (avec un bon bulletin et les cahiers de devoirs

- Ils sont moins cochonnés qu’avant !

de Kako).

- Une bonne nouvelle. Princesse a reçu sa dérogation. Elle vient de recevoir une lettre du ministère.

- Il faudra qu’elle téléphone à Jean-Claude, pour le remercier.

- Je demanderai le numéro de téléphone de ton copain à Ana, tout à l’heure.

Hortense va bien.

- Elle est passée hier. Elle se porte toujours à merveille, même quand ça va mal.

Et Maurice Mbiye doit passer demain après-midi avec des paquets.

- Ah oui, ce sont sans doute les cadeaux de « Saint-Nicolas » que le service social de la Régie des Bâtiments (Merci à Alfred Severi et à Jan De Cort !) (merci à Maurice !) offre à Kako (un MP 3) et à Tensia (des poupées).

- Et ma grande fille alors, Sukina, elle n’aura rien ?

- Sukina n’aura rien. Elle a passé l’âge. C’est déjà une vieille de douze ans. Et d’ailleurs, elle ne croit plus à Dieu ni à Diable depuis déjà longtemps. C’est ma digne petite fille.

Koffi et son équipe de menuisiers sont arrivés. Ils passeront la nuit sur place. Dans l’ancienne maison de Fo Bomboma. A l’entrée.

Un appel en absence sur le vieux portable de Vieux Stany. J’étais dans le parc (aujourd’hui, je n’emprunte pas les grandes allées, je suis les petits sentiers qui se promènent en serpentant) (mais savent toujours où ils vont) avec ma clope et ma tasse de café (que je ne tiens pas par la anse, eh !). Je n’ai rien entendu. Mawussi m’a prévenu mais je suis arrivé trop tard.

- Un appel d’Ana, peut-être ? Comment va son œil ?

Dix-huit heures moins le quart. Une très grosse pluie d’orage. Je ferme les « nacos » de ma chambre-bureau. Je coupe le PC.

Le téléphone va sûrement sonner.

Un petit apéro ?

Du deha évidemment. Le « masanga ya mbila » d’ici. En provenance du champ de Kossi où on a abattu une vingtaine de palmiers de cinq à six mètres de haut pour faire du sodabi (on les abat, on les couche sur le sol et le vin de palme est mis à couler, couler, couler, couler, couler, goutte à goutte à goutte à goutte à goutte, dans des calebasses, pendant presque un mois). Et des épis de maïs (les uns grillés

- Mawussi connaît déjà mes faiblesses, petite chérie. Elle nous sert ça avec du piment. Gougoui s’étonne… mais laisse faire… Lui aussi connaît mes faiblesses…

les autres bouillis) également en provenance du champ de Kossi.

- Et qui fabrique le sodabi, douchka ?

- Des gens de Badja avec qui Kossi s’est entendu, petite chérie. Et ensuite, Kossi et eux se partagent la production. Moitié-moitié.

A deux cent mètres à peine du château de Gougoui et de Nicole...

Et après l’apéro, un en-cas (Yao-le-cuisinier est en congé) ?

Je te dépose comme ça, pêle-mêle, sur la table. Comme dans l’émission « Ready Steady Cook » à BBC 2. Et je te laisses te débrouiller (mais ton histoire d’œil commence à me travailler, si tu ne vois plus rien, je devrai peut-être te donner un coup de main et t’aider à faire la cuisine ?) : avocat, ignames (tu peux remplacer les ignames par du gari, si tu veux), tomates, oeufs, mangue, etc.

Bull s’installe en dessous de la chaise longue de Gougoui. Et Dog se met en boule entre les jambes de son patron. Sur le marchepied. A la place habituelle de Pit. Mais Pit, devenu philosophe, laisse faire et se couche au pied de son Maître (le museau pointé vers Dieu). Quelques instants plus tard, Pit a, pourtant, un coup de blues. Il se tourne alors vers moi et me demande des nouvelles de Daniel.

- T’aurais pas du cantal ?

Tout est en place. Les chauves-souris font leur réapparition.

Mawussi rentre à Badja. Chez sa grand-mère. Sans crainte. Les jours de marché, il y a toujours du monde sur la route. Même tard.

Poursuivi par Pit et Dog, Bull saute du haut de la terrasse (a-t-il été poussé ?). Devant l’acacia (autour duquel, il y a trois ans, rappelle-toi, un banc de bois était assis) Et se reçoit (à l’aise !) sur ses quatre pattes. Continue sa course dans l’herbe, se retourne et nargue ses poursuivants. Une sportive, cette gamine. Et qui n’a peur de rien.

- Nassogne di rin !

Les chauves-souris sont bien là. Elles vont et viennent. Peut-être étaient-elles en visite chez des parents ? Pour une histoire de famille (un problème de terres, une cérémonie de sortie d’un nouveau né le septième jour, une fête de mariage, une veillée de deuil) ? Mais elles sont à présent revenues.

Koffi et son équipe sont allés manger à Badja.

Chez les revendeuses de riz, de ablo ou de haricots qui installent des marmites devant leur maison ou au bord d’une petite route (là où il y a beaucoup de passages). Il y en a même une qui s’est installée devant la gendarmerie. Avec ses fourneaux. Sous un petit toit de paille.

Et boire dans les bars de Badja ?

- Un jour de marché, il doit y avoir de l’ambiance !

Des bars, il y en a quatre à Badja. Un petit hôtel-bar (deux chambres ou plus ?). Un commerce général-bar (on y vend des clous, du ciment, du savon, un peu de tout) et deux autres encore.

- Et le Las Vegas ?

- Le Las Vegas est devenu une épicerie, petite chérie.

- C’est toujours mieux qu’un temple !

Gougoui téléphone à Nicole. Depuis leur chambre…

- Je te rappelle dans dix minutes. Je bois ma soupe tant qu’elle est chaude.

Elle rappelle moins de cinq minutes plus tard. Gougoui se lève pour répondre. Dans leur chambre…

Ça dure, ça dure… Et finalement Gougoui réapparaît… Avec une histoire extravagante à me raconter. Une histoire qui est arrivée à Moura alors qu’elle se trouvait en compagnie de Jacquie (la soirée de samedi qui avait été si bien arrosée

- Il fallait bien tenir compagnie à Nicole, la pauvrette ! Les pieds dans le plâtre et obligée de se déplacer en chaise roulante dans son appartement !

le coup de frein brutal et la voiture de Moura qui s’est arrêtée pile mais sans blesser personne, une jeune fille qui n’avait pas été touchée mais qui était restée étendu sur le sol, prise de tremblements, Police Secours et le Samu qui se sont amenés…) (l’alcootest, les menottes, le cachot à putes, les deux jours de garde à vue, l’hôpital, le tribunal, etc)…

- Et son permis ?

- Tu lui demanderas ça toi-même ! Je ne vais quand même pas lui voler son histoire, à Moura… Elle te la racontera elle-même… En mieux ! Mais depuis lors, d’après Nicole, Moura aurait décidé…

- Mobudiette ?

- …d’adorer de nouveaux dieux : le dieu Schweppes et le dieu Coca-Cola…

J’essaie en vain d’appeler Ana. Avec le vieux portable de Vieux Stany. Plus de quatre fois. Sans résultat.

Elle m’avait interdit de l’appeler. Mais je transgresse l’interdiction. Et ça ne répond pas ou ça sonne occupé…

Je suis fatigué. Cette histoire d’œil me tracasse. Je n’arrive pas à toucher Ana. Où est-elle ? Aux urgences ophtalmo de l’hôpital Saint-Pierre ?

- Mais non, bandecon, tu as oublié ce que je t’avais dit ? Relis tes notes ! Visionne tes rushes !

Eh oui, Ana a passé la soirée chez Guy et Malou, évidemment. Avec Kabeya. Bobonne a sûrement pris un pied pas possible. Bobonne a sûrement bien bu et bien mangé (la salope !)… Je vais tout de suite me coucher.