A Nassogne
sous-titré Presque un mois chez Gougoui Kangni
roman,
2005-2006
Extraits
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Le quatrième jour
Après la pluie viennent les crapauds ? J’en entends un qui râle ferme depuis tôt ce matin. Et je me découvre une piqûre de moustique sur l’index de la main gauche (ça s’est passé hier soir, sur la terrasse ?) (pendant la visite du CB ou pendant qu’un couple d’amoureux faisait du quatre fois quatre sous la grande paillote du haut du parc ?) (trop de pluie, trop de coups de téléphone, trop de deha, je me suis laissé surprendre). Je me gratte la papatte et ce n’est pas la gale.
- Un moustique, hic ! … Un moustique seulement, petite chérie…
- Ce n’est pas le nombre qui compte, bandecon. Un seul moustique, bien intentionné, peut suffire à abattre un éléphant, non ?
Les nouvelles du petit jour (je continue de me lever à sept heures) (et, ici, les nouvelles commencent tôt et se déplacent rapidement) ?
Cette nuit, Mawusi s’est fait importuner par deux chacals, sur la route de Badja, en rentrant chez elle, vers vingt-deux heures. Elle a rebroussé chemin et est revenue dormir au gîte. Dans la chambre numéro six, celle où loge Fo Bomboma (sauf quand une serveuse vient du Quilombo pour donner un coup de main, les jours ou les week-ends d’affluence). Elle est retournée à la maison de sa grand-mère ce matin, vers cinq ou six heures. Yao-le-cuisinier va bien. Kudjo va bien. Fo Bomboma vient de regagner Nassogne après avoir passé la journée d’hier à Lomé. Sa femme (c’est Lucia qu’elle s’appelle !) (elle en est à son septième mois) (elle suit régulièrement les consultations pré-natales) va bien. Kafui va bien. Elle a remis mes deux pantalons au tailleur de Badja, Maître Benoît (celui qui a remplacé Gilbert d’Assahoun pour tous les travaux de couture du gîte).
- Et combien il prend, douchka ?
- Il me dira ça plus tard, quand il aura terminé…
Kinvi Kangni a téléphoné d’Abidjan. Il se rappelle très bien de la Faysanne (bue au café Le Rimbaud, à Saint-Hubert, avec Jamal et Mohamed) (en quelle année déjà ?). Il va essayer de s’inventer une mission pour Lomé. Kossi (le jardinier « géant », presque toujours en casquette, calme et sérieux et silencieux) est convoqué au poste de gendarmerie. Sûrement un problème de dette. Quelqu’un aura préféré se plaindre chez les gendarmes (c’est plus direct ?) au lieu de s’adresser, comme cela se fait habituellement, au chef traditionnel du canton (trop conciliant ?). Gougoui doit se rendre à Assahoun. Vers 11 heures. Il en profitera pour amener tes vieilles chaussures sénégalaises (achetées à Lagos). Et demander aux cordonniers du coin
- Une coopérative d’ handicapés.
s’ils sont capables de réaliser le même modèle.
- Tu sais Gougoui, Ana m’a dit qu’il n’était pas nécessaire que ce soit du serpent… Du bœuf, fera tout aussi bien l’affaire…
Et si aujourd’hui, je me promenais dans le parc ? Et que je fasse un tour de beau-fils de propriétaire ? Et que je me prenne le pied dans un piège à lapin posé par le vieux d’à côté ? Et que je rencontre un serpent bouffeur de poussins ? Ou une petite vieille courbaturée dont on croit qu’elle prépare du gari ou de l’huile rouge au fond du parc mais qui, peut-être, possède des yeux derrière la tête, jette des sorts et mange des gens la nuit (mieux vaut se promener pendant la journée !) ?
Ici, on peut divaguer sans problème. La brigade territoriale du canton de Badja n’a pas besoin d’installer des caméras de vidéo-surveillance. Où qu’on aille et quoiqu’on fasse (même pipi !), il y aura toujours un enfant (ange ou démon ?) (un enfant du vieux d’à côté ?) qui vous observera et qui se marrera bien et qui pensera ce qu’il voudra…
Ou si, aujourd’hui, il ne se passait rien au château (pas de visites, pas de coup de téléphone, pas de piège à lapin, pas de serpent à poussins, pas de sorcière, pas d’enfant qui me surprend en train de pisser le long de l’enclos des chèvres et des canards (et des poules) ou dans le petit bois d’eucalyptus.
- Qu’il pense ce qu’il veut ! On lui a sûrement dit que les Yovos n’avaient pas d’hygiène et tout ce qui l’intéresse, c’est de voir si je suis circoncis !
pas d’orage) (on entend seulement le bruit du moteur de la camionnette qui vient chercher les œufs à la ferme Ayobele
- Ayodele !
pour les revendre à Lomé) ? Et que je me contentais de te lire et de te raconter les journaux ramenés par Gougoui ?
- Tu sais bien que ce n’est pas possible, douchka !
On verra.
Les titres ramenés hier par Gougoui ?
Un quotidien, Togo-Presse. Et plusieurs hebdomadaires : Crocodile, Nouvelle ère, La Dépêche, Agni (l’Abeille), Forum de la Semaine, Motion d’information, Liberté Hebdo (qui est en passe de devenir un bi-hebdomadaire).
Quelques titres manquent. Mais peut-être paraîssent-ils en fin de semaine.
Les grandes manchettes (en première page) ? En veux-tu ? En voilà !
« Le conseil des ministres adopte le projet de budget gestion 2006 arrêté en recettes à 247, 41 milliards de FCFA et en dépenses à 266, 80 milliards de FCFA », « Le président Faure Essozimne Gnassingbe dans son message à l’occasion de la 18e journée mondiale du sida : Pour un Togo sans nouvelles infections VIH-SIDA en 2015 », « Le chef de l’Etat félicite le président Bongo » (Togo-Presse), « L’U.E. accorde 20 milliards pour les couches défavorisées », « Le professeur Gnininvi au sortir de l’audience hier avec Faure : Les conditions ne sont pas réunies pour un dialogue fructueux », « Vaste coalition du RPT contre l’opposition pour un nouveau bluff » (Crocodile), « (Ré)ouverture du dialogue au Togo : Enjeux et insuffisances d’une manœuvre politique - L’odyssée stérile des dialogues intertogolais », « L’UFC accepte d’aller au dialogue sans conditions : recul de la ligne dure au profit d’un réalisme participationniste », « Célébration de la fête du Christ Roi : Le Dieu vivant en procession dans les rues de Lomé » (Nouvelle ère), « Les douanes togolaises contre le Développement », « Dialogue national : Vers une reddition des radicaux », « Un bon exemple de coopération sud/sud : L’Arabie Saoudite octroie 5, 72 milliards de FCFA au Togo », « La Fondation de Bienfaisance Humanitaire du Togo inaugure trois grandes mosquées dans les Régions Centrale et de la Kara » (La Dépêche), « Enquête sur la tentative d’assassinat de Dimas Dzikodo et d’Eben-Ezer D. : la suspicieuse lenteur de la Police nationale», « Coopération UE-Togo : Une mission de suivi de l’UE attendue les 7 et 8 décembre au Togo », « Vol de vautours sur le championnat national de D1 : Womé ou la corruption à haute dose » (Forum de la semaine), « Mémorandum de Faure Gnassingbé : La problématique du dialogue et les dessous des cartes : qui piège qui ? », « Quatre vérités sur la lutte contre le sida au Togo : Impasse, désolation, magouilles et ignorance », « Nicolas Lawson fustige le pouvoir de Faure Gnassingbé et décrie la position d’Edem Kodjo » (Motion d’information), « Présidentielles au Burkina Fasso : Faure Gnassingbé accusé d’avoir aidé Blaise Compaoré », « Togo Electricité vivra-t-elle après la fatidique date du 1er décembre ? », interview du commandant Boko « Sur le coup d’Etat du 5 février, le refus de l’atterrissage de l’avion d’Obasanjo, l’arrestation d’Agbéyomé Kodjo, son refus d’adhérer à la commission Koffigoh, les poursuites judiciaires en Europe contre les auteurs des violences liées au scrutin du 24 avril, sa nouvelle carrière d’avocat et son avenir politique » (Liberté Hebdo), « La 5e Foire Internationale de Lomé bat son plein », « Marche contre l’impunité : Harry Olympio réclame la tête des criminels », « Relance du dialogue inter-togolais : La NDP s’insurge contre le surplace politique et propose d’aller aux élections législatives », « Blaise Compaoré crée le grand boulevard de la Démocratie au Burkina Faso » (Agni – L’Abeille).
Bon.
Ça va.
D’accord.
- C’est un peu indigeste, petite chérie ? Ce n’est pas vraiment ton pied ?
- Oui !
D’accord, je passe, Et comme tu ne me parais pas trop t’intéresser à la politique (bino basi !), je vais te lire quelques faits divers de la semaine.
- Ouiii !
- Hue dia ! Je te lis donc dans « Agni » que madame Essé (une maman ghanéenne de la ville frontière d’Aflao) a finalement accouché, après trois ans et demi de grossesse, grâce à l’intervention du pasteur Cephas (ou Cephace) de Lomé… lequel a découvert que le ventre de la pauvre femme avait été fané par un esprit satanique qui s’était emparé d’elle et dont il fallait absolument la délivrer.
- Encooore !
- Aaaah, te lirai-je aussi qu’une femme a été découpée à la machette et que son meurtrier, le cohabitant de la victime, a été lynché par une foule en colère. Ça s’est passé dans le quartier Amoutivé, à Lomé. Mais la victime était une couturière d’origine ghanéenne et l’assassin, un nommé Malam, serait un Haoussa d’origine nigérienne. Ce drame, écrit la rédaction de « Nouvelle ère », « doit interpeller les autorités sur les comportements et attitudes des ressortissants des pays voisins et amis qui résident chez nous partout au Togo ». Les forces de police et de gendarmerie ont déploré que le sieur Malam ait été lynché sur place « ce qui empêche de l’écouter pour découvrir les motifs réels qui l’ont motivé à commettre ce crime somme toute condamnable »
- Encore ! Encore ! Encore !
- Ooooh ! Ça suffit ! Tu as assez joui comme ça pour aujourd’hui (peut-être faudrait-il installer un extracteur de bruits érotiques ?), petite chérie ! Tu sais bien que le brame des grandes baiseuses fout la trouille aux éjaculateurs précoces !
- Complexé ! Psychopathe ! Caractériel ! Bandecon ! Djimakpla !
- Comment ça, petite chérie ? Je ne suis pas un type normal ? Il y a trop de parenthèses dans ma tête ? Et trop de notes en bas de page ? Et trop de points d’exclamation et de points d’interrogation et de points de suspension ? Au bout de chaque phrase ? Et je me permets de passer à la ligne sans raison ? Et personne ne peut y retrouver son chemin ? Et aucune de mes phrases ne commence, ne se forme et ne se termine normalement ? Et si ça continue comme ça, tu vas demander le divorce (mais les enfants ne voudront jamais, eh !) pour torture mentale ? Tu m’aimes ?
Gougoui est revenu d’Assahoun. Il y a rencontré le chef canton et lui a annoncé notre visite pour la semaine prochaine. Et il a ramené quoi ? Des casiers de boissons. Des brochettes de mouton (bidoche et affaires intérieures)
- Toutes plates. Et sablées (enrobées, avant cuisson, de farine de maïs mélangée à de la sauce rouge) (avec un peu de piment) (et des épices mais je ne sais pas lesquelles) !
qu’on mangera ce midi avec du ablo et une sauce tomate aux oignons (que tu connais !).
Un des cordonniers de la coopérative d’Assahoun a accepté
- Pas de problème. On peut faire ça
- Et pour le prix ?
- On s’arrangera après. Le chef n’est pas là.
- Le chef ?
de prendre ta commande de chaussures « sénégalaises ». Tiens, j’ai oublié de demander à Gougoui si le commandant-brigadier était venu rechercher son portable !
- Non, c’est Fo Bomboma qui le lui a ramené, ce matin. C’est toujours ainsi que ça se passe. Ils sont originaires de la même région (près de la frontière du Burkina Faso) et ils adorent causer ensemble.
Le tailleur de Badja ne travaille pas seul. Il a quatre apprenties. Quatre filles.
- Dont la demi-sœur de Yaovi ?
- Non, petite chérie, elle travaille ailleurs. Chez un autre tailleur.
Des séries C (C comme coupe, C comme couture, C comme coiffure, C comme contrat d’apprentissage). Il attend impatiemment le retour de sa meilleure cliente, Nicole (des rideaux, des nappes, des serviettes, des draps, des taies d’oreiller, des moustiquaires, des coussins…).
- C comme Nicole ?
Kafui ramène mes deux pantalons. Ceux-là même qu’elle a déposés le matin pour quelques réparations. Plus deux pantalons en tissus de pagne (des pantalons wax !) de Gougoui aussi. Egalement à réparer. Travail terminé. Bel ouvrage. Pas cher.
- Combien, douchka ?
- C’est Gougoui qui a tout payé, petite chérie.
Je montre à Kafui, les photos de presque toute ma famille étroite (mais pas étriquée) (il manque quelques nouveaux visages mais, pour ne blesser personne, je cite quand même tout le monde) (et puis on se sent moins seul quand on est plus nombreux, non ?) que Lianja a installées sur mon ordinateur : Ana (la veuve de presque un seul mois), Hortense, Nadine, Eric, Djuna, Lianja, Carmel, Princesse (les enfants), Kusma, Albert, Jean-Luc, Christophe, Olivier, Alice, Difan, Karine, Soumaya (les beaux-fils et les belles-filles) (et les ex), Loïc, Percy et Lohile, Sukina, Kako et Tensia, Maëlle et Nyssia (les kokos).
Et aussi les photos des amis de Djuna et de Lianja (ceux qui passent le plus souvent à la maison) (ça défile !) (et dont j’ai, quelquefois, retenu le nom) : Gayette, Léandre, Fernando, Olan, Kehond, Doré, Rachid, Kelo, Chaïma, Laetitia, Redouan, Toufik, Sabri, Ismaël, Mahmoudou, Babyno, Yaha, Gonzalo, Stéphane, Khalid, Jim, Hakim, Brahim, Alexis, Justine, Daddy, Yaha…
Roger Atikpati vient de perdre son papa.
- Et les médicaments que Nicole lui avait envoyés, douchka ? Ceux que Djuna a ramenés de Paris-Pantin et que j’avais placés dans ta valise ?
- Ce n’était pas pour son père, petite chérie. C’était pour sa sœur.
Roger va devoir monter au village. Plus haut. Dans la région centrale. Du côté de Sokodé. Aujourd’hui même.
Bientôt dix-huit heures, l’heure des moustiques.
- Je sais que tu détestes mes questions métaphysiques (ou pharmaceutiques ou mathématiques, je ne sais plus) ! En voilà quand même une pour que tu voies que je n’ai pas perdu la main ! Apprécie, petite chérie !
A supposer que je m’enduise de crème « répulsive » et que cette crème (ou cette lotion ou ce lait ou ce spray) assure au maximum huit heures de protection et que je m’endorme vers vingt-deux ou vingt-trois heures, devrai-je me réveiller (la sonnerie du réveil Jupiler est-elle encore en bon état de marche ?) (je n’ai même pas pensé à vérifier ça avant de partir !) vers deux heures du matin pour me renduire toutes les extrémités du corps et autres zones sensibles découvertes… parce que, à partir de cette heure-là, les moustiques auront à nouveau le droit de me piquer en toute impunité et que, en droit… je ne pourrais même pas me retourner contre le fabricant qu’enrichit leur perfidie ?
- Je devrais quand même demander à Jan De Cort, Didier L’Homme ou Henri Jouant (et à Elke Vliegen, Anne Duplat ou Julie Sassi ?) (ou à Dirkouille le Fripouille, alias DVG ?), ils n’ont peut-être jamais été attaqués (quoique Henri…) (en Turquie, au Tibet, en Jordanie, ça doit piquer aussi là-bas ?) par des moustiques mais en matière de responsabilité civile, ecclésiastique, hic ! et militaire, ils en savent vachement plus que moi !
(Je me posais la question
- Et Kathy, qu’est-ce qu’elle devient ?
à moi-même mais voilà que j’entends certains membres, parmi les plus éminents, du Service juridique de la Régie des Bâtiments se donner rendez-vous au bistrot
- Pas étonnant que tu t’intéresses tellement à Kathy ! Elle et toi, vous avez été formés à la même école, vous êtes du même tonneau !
- C’est pour ça qu’on s’entendait si bien, non ? Et comment va la brasserie de l’Union ? Et comment vont Fabrice et Hakim et Azziz ? Vous vous retrouvez toujours là-bas ?
pour tenter d’y répondre).
Ce soir Ana ne me téléphone pas. Voici donc, ci-dessous, les questions insidieuses qu’elle n’a pas pu me poser et les réponses pertinentes que je n’ai pas pu lui donner.
- Qu’est-ce que vous avec mangé ce soir, Gougoui et toi ?
- Des bananes plantain en robe de chambre, petite chérie. Du riz et des haricots cuits ensemble. Et saupoudrés de manioc râpé, séché et torréfié
- Du gari, quoi !
- On ne peut rien te cacher, petite chérie ! Plus une sauce tomate-oignons, avec du poisson fumé (pilé très fin), dans laquelle baignaient des œufs de canes (succulent !). Et comme dessert, bien sûr, un ananas.
- Oui, je vois ! Et tu as sûrement bu de l’eau ?
- Pas d’eau ! Ni de Pils, ni de Flag, ni d’Eku, ni de Castel, ni de Lager, ni d’Awoyoo, ni de Guiness ! Seulement une bouteille de deha. D’un litre et demi mais je ne l’ai pas tout à fait terminée.
- Et tu dis que tu veux maigrir, bandecon ?
- Honnêtement, vu l’hospitalité de Saint Pacôme, ce ne serait pas poli (le pain du gîte, les oeufs de canes du gîte, les ananas du gîte, l’eau potable du puits du gîte, le deha du champ de Kossi aux environs du gîte…)! Tu m’aimes ?